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VIII
une Lecture au passage du saumon

Enfin, je le terminai, ce fameux poëme. J’en vins à bout après quatre mois de travail, et je me souviens qu’arrivé aux derniers vers je ne pouvais plus écrire, tellement les mains me tremblaient de fièvre, d’orgueil, de plaisir, d’impatience.

Dans le clocher de Saint-Germain, ce fut un événement. Jacques, à cette occasion, redevint pour un jour le Jacques d’autrefois, le Jacques du cartonnage et des petits pots de colle. Il me relia un magnifique cahier sur lequel il voulut recopier mon poëme de sa propre main ; et c’étaient à chaque vers des cris d’admiration, des trépignements d’enthousiasme… Moi, j’avais moins de confiance dans mon œuvre. Jacques m’aimait trop ; je me méfiais de lui. J’aurais voulu faire lire mon poëme à quelqu’un d’impartial et de sûr. Le diable, c’est que je ne connaissais personne.

Pourtant, à la crémerie, les occasions ne m’avaient pas manqué de faire des connaissances. De-