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conté ma vie de cénobite dans le clocher de Saint-Germain, je les aurais fort étonnés. Mais, vous savez, quand on est jeune, on n’est pas fâché de passer pour un mauvais sujet. Devant les accusations de Pierrotte, je prenais un petit air modeste, et je ne me défendais que faiblement : « Mais non, mais non ! je vous assure… Ce n’est pas ce que vous croyez. » Jacques aurait bien ri de me voir.

Comme nous achevions de prendre le café, un petit air de flûte se fit entendre dans la cour. C’était Pierrotte qu’on appelait au magasin. À peine eut-il le dos tourné, la dame de grand mérite s’en alla à son tour à l’office faire un cinq cents avec la cuisinière. Entre nous, je crois que son plus grand mérite, à cette dame-là, c’était de tripoter les cartes fort habilement…

Quand je vis qu’on me laissait seul avec la petite rose rouge, je pensai : « Voilà le moment ! » et j’avais déjà le nom de Jacques sur les lèvres ; mais mademoiselle Pierrotte ne me donna pas le temps de parler. À voix basse, sans me regarder elle me dit tout à coup : « Est-ce que c’est mademoiselle Coucou-Blanc qui vous empêche de venir chez vos amis ? » D’abord je crus qu’elle riait, mais non ! elle ne riait pas. Elle paraissait même très émue, à voir l’incarnat de ses joues et les battements rapides de sa guimpe. Sans doute on avait parlé de Coucou-Blanc devant elle, et elle s’imaginait confusément des choses qui n’étaient pas. J’aurais pu la détromper d’un mot ; mais je ne sais quelle sotte vanité me retint… Alors, voyant que je ne