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Figure-toi qu’à force d’écrire sous la dictée j’en suis arrivé à être à peu près aussi intelligent qu’une machine à coudre. Impossible de rien trouver par moi-même. M. Eyssette avait bien raison de me dire : « Jacques, tu es un âne. » Après tout, ce n’est pas si mal d’être un âne. Les ânes sont de braves bêtes, patientes, fortes, laborieuses, le cœur bon et les reins solides… Mais revenons à mon histoire.

Dans toutes tes lettres, tu me parlais de la reconstruction du foyer, et, grâce à ton éloquence, j’avais comme toi pris feu pour cette grande idée. Malheureusement, ce que je gagnais à Lyon suffisait à peine pour me faire vivre. C’est alors que la pensée me vint de m’embarquer pour Paris. Il me semblait que là je serais plus à même de venir en aide à la famille, et que je trouverais tous les matériaux nécessaires à notre fameuses reconstruction. Mon voyage fut donc décidé : seulement je pris mes précautions. Je ne voulais pas tomber dans les rues de Paris comme un pierrot sans plumes. C’est bon pour toi, mon Daniel il y a des grâces d’état pour les jolis garçons ; mais moi, un grand pleurard !

J’allai donc demander quelques lettres de recommandation à notre ami le curé de Saint-Nizier. C’est un homme très bien posé dans le faubourg Saint-Germain. Il me donna deux lettres, l’une pour un comte, l’autre pour un duc. Je me mets bien, comme tu vois. De là je m’en fus trouver un tailleur qui sur ma bonne mine, consentit à me faire crédit d’un bel habit noir avec ses dépen-