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d’une ombre froide et sinistre. Par les grillages d’une fenêtre, un peu de lune descend et vient donner en plein sur le gros anneau de fer — oh ! cet anneau, le petit Chose ne fait qu’y penser depuis des heures, — sur le gros anneau de fer qui reluit comme de l’argent… Dans un coin de la salle, un vieil escabeau dormait. Le petit Chose va le prendre, le porte sous l’anneau et monte dessus ; il ne s’est pas trompé, c’est juste la hauteur qu’il faut. Alors il détache sa cravate, une longue cravate en soie violette qu’il porte chiffonnée autour de son cou, comme un ruban. Il attache la cravate à l’anneau et fait un nœud coulant. Une heure sonne. Allons ! il faut mourir… Avec des mains qui tremblent, le petit Chose ouvre le nœud coulant. Une sorte de fièvre le transporte. Adieu, Jaçques ! Adieu madame Eyssette !…

Tout à coup un poignet de fer s’abat sur lui. Il se sent saisi par le milieu du corps et planté debout sur ses pieds, au bas de l’escabeau. En même temps une voix rude et narquoise, qu’il connaît bien, lui dit : « En voilà une idée, de faire du trapèze à cette heure ! »

Le petit Chose se retourne, stupéfait.

C’est l’abbé Germane, l’abbé Germane sans sa soutane, en culotte courte, avec son rabat flottant sur son gilet. Sa belle figure laide sourit tristement, à demi éclairée par la lune… Une seule main lui a suffi pour mettre le suicidé par terre ; de l’autre main il tient encore sa carafe qu’il vient de remplir à la fontaine de la cour.