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café Barbette, c’est pour leur faire ses adieux, pour boire le coup de l’étrier, comme ils disent… Oh ! ces militaires !…

Et me voilà courant de nouveau à perdre haleine.

Heureusement j’approchais de la Prairie dont j’apercevais déjà les grands arbres chargés de neige. — Pauvre ami, me disais-je, pourvu que j’arrive à temps !

La trace des pas me conduisit ainsi jusqu’à la guinguette d’Espéron.

Cette guinguette était un endroit louche et de mauvais renom, où les débauchés de Sarlande faisaient leurs parties fines. J’y étais venu plus d’une fois en compagnie des nobles cœurs, mais jamais je ne lui avais trouvé une physionomie aussi sinistre que ce jour-là. Jaune et sale, au milieu de la blancheur immaculée de la plaine, elle se dérobait, avec sa porte basse, ses murs décrépis et ses fenêtres aux vitres mal lavées, derrière un taillis de petits ormes. La maisonnette avait l’air honteuse du vilain métier qu’elle faisait.

Comme j’approchais, j’entendis un bruit joyeux de voix, de rires et de verres choqués.

— Grand Dieu ! me dis-je en frémissant, c’est le coup de l’étrier. Et je m’arrêtai pour reprendre haleine.

Je me trouvais alors sur le derrière de la guinguette ; je poussai une porte à claire-voie, et j’entrai dans le jardin. Quel jardin ! Une grande haie dépouillée, des massifs de lilas sans feuilles, des tas de balayures sur la neige, et des tonnelles toutes