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même, — pendant l’étude, — j’écrivis ma première lettre à la blonde Cécilia.

Cette singulière correspondance entre le petit Chose et cette mystérieuse personne dura près d’un mois. Pendant un mois, j’écrivis en moyenne deux lettres de passion par jour. De ces lettres, les unes étaient tendres et vaporeuses comme le Lamartine d’Elvire, les autres enflammées et rugissantes comme le Mirabeau de Sophie. Il y en avait qui commençaient par ces mots : « Ô Cécilia, quelquefois, sur un rocher sauvage… et qui finissaient par ceux-ci : « On dit qu’on en meurt… essayons ! » Puis, de temps en temps, la Muse s’en mêlait :

Oh ! ta lèvre, ta lèvre ardente !
Donne-la moi ! Donne-la moi !

Aujourd’hui, j’en parle en riant, mais à l’époque, le petit Chose ne riait pas, je vous le jure, et tout cela se faisait très sérieusement. Quand j’avais terminé une lettre, je la donnais à Roger pour qu’il la recopiât de sa belle écriture de sous-officier ; lui, de son côté, quand il recevait des réponses (car elle répondait la malheureuse !), il me les apportait bien vite, et je basais mes opérations là-dessus.

Le jeu me plaisait en somme ; peut-être même me plaisait-il un peu trop. Cette blonde invisible, parfumée comme un lilas blanc, ne me sortait plus de l’esprit. Par moments, je me figurais que j’écrivais pour mon propre compte ; je remplissais mes