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dirait-il ?… comme un buffle, comme un buffle sauvage. L’enfant gardait le lit depuis deux jours. Depuis deux jours, sa mère en larmes, le veillait…

Ah ! s’il avait eu affaire à un homme, c’est lui, M. de Boucoyran le père, qui se serait chargé de venger son enfant ! Mais On n’était qu’un galopin dont il avait pitié. Seulement qu’On se le tînt pour dit : si jamais On touchait encore à un cheveu de son fils, On se ferait couper les deux oreilles tout net…

Pendant ce beau discours, les élèves riaient sous cape, et les clefs de M. Viot frétillaient de plaisir. Debout, dans sa chaire, pâle de rage, le pauvre On écoutait toutes ces injures, dévorait toutes ces humiliations et se gardait bien de répondre. Si On avait répondu, On aurait été chassé du collège ; et alors où aller ? On ne disait donc rien mais On avait le cœur gros, je vous jure…

Enfin, au bout d’une heure, quand ils furent à sec d’éloquence, ces trois messieurs se retirèrent. Derrière eux, il se fit dans l’étude un grand brouhaha, J’essayai, mais vainement, d’obtenir un peu de silence ; les enfants me riaient au nez. L’affaire Boucoyran avait achevé de tuer mon autorité.

Oh ! ce fut une terrible affaire !

Toute la ville s’en émut… Au Petit-Cercle, au Grand-Cercle, dans les cafés, à la musique, on ne parlait pas d’autre chose. Les gens bien informés donnaient des détails à faire dresser les cheveux. Il paraît que ce maître d’étude était un monstre, un ogre. Il avait torturé l’enfant avec des raffinements