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temps s’informer s’il n’y a pas par hasard du nouveau à la Caisse, et, comme il n’y en a jamais, on reste des semaines sans les voir. Quatre ou cinq fidèles, tous des pauvres vieux comme moi, s’entêtent à paraître régulièrement tous les matins à la même heure, par habitude, par désœuvrement, embarras de savoir que devenir ; seulement chacun s’occupe de choses tout à fait étrangères au bureau. Il faut vivre, écoutez donc ! Et puis on ne peut pas passer sa journée à se traîner de fauteuil en fauteuil, de fenêtre en fenêtre, pour regarder dehors (huit fenêtres de façade sur le boulevard). Alors on tâche de travailler comme on peut. Moi, n’est-ce pas, je tiens les écritures de mademoiselle Séraphine et d’une autre cuisinière de la maison. Puis j’écris mes mémoires, ce qui me prend encore pas mal de temps. Notre garçon de recette — en voilà un qui n’a pas grande besogne chez nous, — fait du filet pour une maison d’ustensiles de pêche. De nos deux expéditionnaires, l’un, qui a une belle main, copie des pièces pour une agence dramatique ; l’autre invente des petits jouets d’un sou que les camelots vendent au coin des rues au moment du jour de l’an, et trouve moyen avec cela de s’empêcher de mourir de faim tout le reste de l’année. Il n’y a que notre caissier qui ne travaille pas pour le dehors. Il se croirait perdu d’honneur. C’est un homme très fier, qui ne se plaint jamais, et dont la seule crainte est d’avoir l’air de manquer de linge. Fermé à clé dans son bureau, il s’occupe du matin au soir à fabriquer des devants de chemise, des cols et des manchettes en papier. Il est arrivé à y être d’une très grande adresse, et son linge toujours éblouissant fait illusion, sinon qu’au moindre mouvement, quand il marche, quand il s’assied ça craque sur lui comme s’il avait une boîte en