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talité d’un Pierre l’Ermite. C’est le vieux Schwalbach s’approchant, le nez dans sa barbe, clignant de l’œil d’un air mystérieux. « Chut !… il a drufé une berle » pour la galerie de monsieur, un Hobbéma qui vient de la collection du duc de Mora. Mais ils sont plusieurs à le guigner. Ce sera difficile. « Je le veux à tout prix, dit le Nabab amorcé par le nom de Mora… Entendez-vous, Schwalbach. Il me faut ce Nobbéma… Vingt mille francs pour vous si vous le décrochez.

— J’y ferai mon possible, monsieur Jansoulet. »

Et le vieux coquin calcule, tout en s’en retournant, que les vingt mille du Nabab ajoutés aux dix mille que le duc lui a promis, s’il le débarrasse de son tableau, lui feront un assez joli bénéfice.

Pendant que ces heureux défilent, d’autres surveillent à l’entour, enragés d’impatience, rongeant leurs ongles jusqu’aux phalanges ; car tous sont venus dans la même intention. Depuis le bon Jenkins, qui a ouvert la marche, jusqu’au masseur Cabassu, qui la ferme, tous emmènent le Nabab dans un salon écarté. Mais si loin qu’ils l’entraînent dans cette galerie de pièces de réception, il se trouve quelque glace indiscrète pour refléter la silhouette du maître de la maison et la mimique de son large dos. Ce dos est d’une éloquence ! Par moments, il se redresse indigné. « Oh ! non… c’est trop. » Ou bien il s’affaisse avec une résignation comique : « Allons, puisqu’il le faut. » Et toujours le fez de Bompain dans quelque coin du paysage…

Quand ceux-là ont fini, il en arrive encore, c’est le fretin qui vient à la suite des gros mangeurs dans les chasses féroces des rivières. Il y a un va-et-vient continuel à travers ces beaux salons blanc et or, un bruit de portes, un courant établi d’exploitation effrontée et