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« Bravo ! bravo ! » criait la salle à la tirade du comédien ; et c’était un bruit de grêle, de trépignements enthousiastes, tandis que le grand corps sans vie, péniblement enlevé par les machinistes, traversait les coulisses rayonnantes, encombrées de curieux empressés autour de la scène, allumés au succès répandu et qui remarquèrent à peine le passage de ce vaincu inerte, porté à bras comme une victime d’émeute. On l’étendit sur un canapé dans le magasin d’accessoires, Paul de Géry à ses côtés avec un médecin, et deux garçons qui s’empressaient pour les secours. Cardailhac, très occupé par sa pièce, avait promis de venir savoir des nouvelles « tout à l’heure, après le cinq… »

Saignée sur saignée, ventouses, sinapismes, rien ne ramenait même un frémissement à l’épiderme du malade insensible à tous les moyens usités dans les cas d’apoplexie. Un abandon de tout l’être semblait le donner déjà à la mort, le préparer aux rigidités du cadavre ; et cela dans le plus sinistre endroit du monde, le chaos éclairé d’une lanterne sourde où gisent pêle-mêle sous la poussière tous les rebuts des pièces jouées, meubles dorés, tentures à crépines brillantes, carrosses, coffres-forts, tables à jeu, escaliers et rampes démontés, parmi des cordages, des poulies, un fouillis d’accessoires de théâtre hors d’usage, cassés, démolis, avariés. Bernard Jansoulet étendu au milieu de ces épaves, son linge fendu sur la poitrine, à la fois sanglant et blême, était bien un naufragé de la vie, meurtri et rejeté à la côte avec les débris lamentables de son luxe artificiel dispersé et broyé par le tourbillon parisien. Paul, le cœur brisé, contemplait cela tristement, cette face au nez court, gardant dans son inertie l’expression colère et bonne d’un être inoffensif qui a essayé