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dans un fiacre… C’est la débâcle, je vous dis, père Passajon, une débâcle dont nous ne verrons peut-être pas la fin, vieux tous deux comme nous sommes, mais qui sera complète… Tout est pourri ; il faut que tout crève ! »

Il était sinistre à voir ce vieux larbin de l’Empire maigre, échiné, couvert de boue, et criant comme Jérémie : « C’est la débâcle ! » avec une bouche sans dents toute noire et large ouverte. J’avais peur et honte devant lui, grand désir de le voir dehors ; et dans moi-même je pensais : « Ô M. Calmette… ô ma petite vigne de Montbars… »

Même date. — Grande nouvelle. Madame Paganetti est venue cet après-midi m’apporter mystérieusement une lettre du gouverneur. Il est à Londres, en train d’installer une magnifique affaire. Bureaux splendides dans le plus beau quartier de la ville, commandite superbe. Il m’offre de venir le rejoindre, « heureux, dit-il, de réparer ainsi le dommage qui m’a été fait ». J’aurai le double de mes appointements à la Territoriale, logé, chauffé, cinq actions du nouveau comptoir, et remboursement intégral de mon arriéré. Une petite avance à faire seulement, pour l’argent du voyage et quelques dettes criardes dans le quartier. Vive la joie ! ma fortune est assurée. J’écris au notaire de Montbars de prendre hypothèque sur ma vigne…