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révolte. « Allons donc !… Est-ce que c’est possible ?… » Et, redressant sa taille, le plastron élargi, il continua sa route, plus ferme et résolu qu’avant.

M. de Monpavon marche à la mort. Il y va par cette longue ligne des boulevards tout en feu du côté de la Madeleine, et dont il foule encore une fois l’asphalte élastique, en museur, le nez levé, les mains au dos. Il a le temps, rien ne le presse, il est maître du rendez-vous. À chaque instant il sourit devant lui, envoie un petit bonjour protecteur du bout des doigts ou bien le grand coup de chapeau de tout à l’heure. Tout le ravit, le charme, le bruit des tonneaux d’arrosage, des stores relevés aux portes des cafés débordant jusqu’au milieu des trottoirs. La mort prochaine lui fait des sens de convalescent, accessibles à toutes les finesses, à toutes les poésies cachées d’une belle heure d’été sonnant en pleine vie parisienne, d’une belle heure qui sera sa dernière et qu’il voudrait prolonger jusqu’à la nuit. C’est pour cela sans doute qu’il dépasse le somptueux établissement où il prend son bain d’habitude ; il ne s’arrête pas non plus aux Bains chinois. On le connaît trop par ici. Tout Paris saurait son aventure le soir même. Ce serait dans les cercles, dans les salons un scandale de mauvais goût, beaucoup de bruit vilain autour de sa mort ; et le vieux raffiné, l’homme de la tenue, voudrait s’épargner cette honte, plonger, s’engloutir dans le vague et l’anonymat d’un suicide, comme ces soldats qu’au lendemain des grandes batailles, ni blessés, ni vivants, ni morts, on porte simplement disparus. Voilà pourquoi il a eu soin de ne rien garder sur lui de ce qui aurait pu le faire reconnaître fournir un renseignement précis aux constatations policières, pourquoi il cherche dans cet immense Paris la zone éloignée et