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Maintenant plus rien. Pas même un toit pour dormir, pas même de nom. La rue.

Où aller ? Que devenir ?

Elle avait d’abord pensé à son fils. Mais avouer sa faute, rougir en présence de l’enfant respectueux, pleurer devant lui en s’enlevant le droit d’être consolée, c’était au-dessus de ses forces… Non, il n’y avait plus pour elle que la mort… Mourir le plus tôt possible, échapper à la honte par une disparition complète, le dénouement fatal des situations inextricables… Mais où mourir ?… Comment ?… Tant de façons de s’en aller ainsi !… Et mentalement elle les évoquait toutes en marchant. Autour d’elle la vie débordait, ce qui manque à Paris l’hiver, l’épanouissement en plein air de son luxe, de ses élégances visibles à cette heure du jour, à cette saison de l’année, autour de la Madeleine et de son marché aux fleurs, dans un espace délimité par le parfum des œillets et des roses. Sur le large trottoir où les toilettes s’étalaient, mêlaient leurs frôlements au frisson des arbres rafraîchis, il y avait un peu du plaisir de rencontre d’un salon, un air de connaissance entre les promeneurs, des sourires de discrets bonjours en passant. Et tout à coup madame Jenkins s’inquiétant de l’altération de ses traits, de ce qu’on pourrait penser en la voyant courir ainsi aveugle et préoccupée, ralentissait sa marche à la flânerie d’une simple promenade, s’arrêtait à petits pas aux devantures. Les étalages colorés, vaporeux, parlaient tous de voyages, de campagne ; traîne légère pour le sable fin des parcs, chapeaux enroulés de gaze contre le soleil des plages, éventails, ombrelles, aumônières. Ses yeux fixes s’attachaient à ces fanfreluches sans les voir, mais un reflet vague et pâli aux vitres claires lui montrait son image