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arrivé à une créature du défunt, sourire complaisamment au cruel persiflage de Le Merquier, aussitôt toute gêne disparut, et le sourire ministériel, répété sur trois cents bouches s’agrandit bientôt en un rire à peine contenu, ce rire des foules dominées par une férule quelconque et que la moindre approbation du maître fait éclater. Dans les tribunes peu gâtées d’ordinaire sur le pittoresque, et que ces histoires de bandits amusaient comme un vrai roman, c’était une joie générale, une animation radieuse de tous ces visages de femmes, heureux de pouvoir paraître jolis sans manquer à la solennité de l’endroit. De petits chapeaux clairs frémissaient de toute leur aigrette fleuve, des bras ronds cerclés d’or s’accoudaient pour mieux écouter. Le grave Le Merquier avait apporté à la séance la distraction d’un spectacle, la petite note comique permise aux concerts de charité pour amadouer les profanes.

Impassible et très froid au milieu de son succès, il continuait à lire de sa voix morne et pénétrante comme une pluie lyonnaise :

« Maintenant, messieurs, on se demande comment un étranger, un Provençal retour d’Orient, ignorant des intérêts et des besoins de cette île où on ne l’avait jamais vu avant les élections, le vrai type de ce que les Corses appellent dédaigneusement un continental, comment cet homme a pu susciter un pareil enthousiasme, un dévouement poussé jusqu’au crime, jusqu’à la profanation. C’est sa richesse qui nous répondra, son or funeste jeté à la face des électeurs, fourré de force dans leurs poches avec un cynisme effronté dont nous avons mille preuves. » Alors l’interminable série des dénonciations : « Je soussigné Croce (Antoine), atteste dans l’intérêt de la vérité que le commissaire de police Nardi,