Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/421

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le reste, je m’en rapporte à votre justice et à votre loyauté. »

Il se levait, allait partir, et Le Merquier ne bougeait pas, interrogeant toujours la tenture verte devant lui, comme s’il y cherchait l’inspiration de sa réponse… Enfin :

« Il sera fait comme vous le désirez, mon cher collègue. Cette confidence restera entre nous… Vous ne m’avez rien dit, je n’ai rien entendu. »

Le Nabab encore tout enflammé de son élan qui appelait — semblait-il — une réponse cordiale, une poignée de main frémissante, se sentit saisi d’un étrange malaise. Cette froideur, ce regard absent le gênaient tellement qu’il gagnait déjà la porte avec le gauche salut des importuns. Mais l’autre le retint :

« Attendez donc, mon cher collègue… Comme vous êtes pressé de me quitter… Encore quelques instants, je vous en prie… Je suis trop heureux de m’entretenir avec un homme tel que vous. D’autant que nous avons plus d’un lien commun… Notre ami Hemerlingue m’a dit que vous vous occupiez beaucoup de tableaux, vous aussi. »

Jansoulet tressaillit. Ces deux mots : « Hemerlingue… tableaux… » se rencontrant dans la même phrase et si inopinément, lui rendaient tous ses doutes, toutes ses perplexités. Il ne se livra pas encore cependant et laissa Le Merquier poser les mots l’un devant l’autre en tâtant le terrain pour ses avances trébuchantes… On lui avait beaucoup parlé de la galerie de son honorable collègue… « Serait-ce indiscret de solliciter la faveur d’être admis à… ?

— Comment donc ! mais je serais trop honoré », dit le Nabab chatouillé dans le point le plus sensible — parce qu’il avait été le plus coûteux — de sa vanité ;