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pour lui les souvenirs d’un passé méridional, des impressions d’enfance encore intactes et fraîches grâce à son long dépaysement, et que le fils de Françoise n’avait eu, depuis son arrivée à Paris, ni le temps ni l’occasion de renier. L’hypocrisie mondaine devant lui avait revêtu toutes ses formes, essayé tous ses masques, excepté celui de l’intégrité religieuse. Aussi se refusait-il à croire à la vénalité d’un homme vivant en un pareil milieu. Introduit dans l’antichambre de l’avocat, vaste parloir aux rideaux de mousseline empesés fin comme des surplis, ayant pour seul ornement, au-dessus de la porte, une grande et belle copie du Christ mort, du Tintoret, son incertitude et son trouble se changèrent en conviction indignée. Ce n’était pas possible. On l’avait trompé sur Le Merquier. Il y avait là sûrement une médisance audacieuse, comme Paris est si léger à en répandre ; ou peut-être lui tendait-on un de ces pièges féroces contre lesquels il ne faisait que trébucher depuis six mois. Non, cette conscience farouche renommée au Palais et à la Chambre, ce personnage austère et froid ne pouvait être traité comme ces gros pachas ventrus, à la ceinture lâche, aux manches flottantes si commodes pour recevoir les bourses de sequins. Ce serait s’exposer à un refus scandaleux, à la révolte légitime de l’honneur méconnu, que d’essayer de tels moyens de corruption.

Le Nabab se disait cela, assis sur le banc de chêne qui courait autour de la salle, lustré par les robes de serge et le drap rugueux des soutanes. Malgré l’heure matinale, plusieurs personnes attendaient ainsi que lui. Un dominicain se promenant à grands pas, figure ascétique et sereine, deux bonnes sœurs enfoncées sous la cornette, égrenant de longs chapelets qui leur mesu-