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traite, un déplacement de tous les triomphes en souvenirs. Était-ce la déception de voir arriver la femme du docteur à la place de madame Jansoulet, ou le discrédit que la mort du duc de Mora avait jeté sur le médecin à la mode devait-il rejaillir sur celle qui portait son nom ? Il y avait un peu de ces deux causes, et peut-être d’une autre dans le froid accueil que la baronne fit à madame Jenkins. Un bonjour léger du bout des lèvres, quelques paroles à la hâte, et elle retourna vers le noble bataillon qui grignotait à belles dents. Le salon s’était animé sous l’action des vins d’Espagne. On ne chuchotait plus, on causait. Les lampes apportées donnaient un nouvel éclat à la réunion, mais annonçaient qu’elle était bien près de finir, quelques personnes désintéressées du grand événement s’étant déjà dirigées vers la porte. Et les Jansoulet n’arrivaient pas.

Tout à coup une marche robuste, pressée. Le Nabab parut, tout seul, sanglé dans sa redingote noire, correctement cravaté et ganté, mais la figure bouleversée, l’œil hagard, frémissant encore de la scène terrible dont il sortait.

Elle n’avait pas voulu venir.

Le matin, il avait prévenu les femmes de chambre d’apprêter madame pour trois heures, ainsi qu’il faisait chaque fois qu’il emmenait la Levantine avec lui, qu’il trouvait nécessaire de déplacer cette indolente personne qui, ne pouvant même accepter une responsabilité quelconque, laissait les autres penser, décider, agir pour elle, du reste allant volontiers où l’on voulait une fois partie. Et c’est sur cette facilité qu’il comptait pour l’entraîner chez Hemerlingue. Mais lorsqu’après le déjeuner Jansoulet habillé, superbe, suant pour entrer dans ses gants, fit demander si madame serait bientôt prête, on