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tume. Depuis longtemps madame Hemerlingue avait renoncé à toute pratique mahométane, quand maître Le Merquier, l’intime du ménage et son cicérone à Paris, leur démontra qu’une conversion solennelle de la baronne lui ouvrirait les portes de cette partie du monde parisien dont l’accès semble être devenu de plus en plus difficile, à mesure que la société s’est démocratisée tout autour. Le faubourg Saint-Germain une fois conquis, tout le reste suivrait. Et, en effet, lorsque après le retentissement du baptême, on sut que les plus grands noms de France ne dédaignaient pas de se rencontrer aux samedis de la baronne Hemerlingue, les dames Gügenheim, Fuernberg, Caraïscaki, Maurice Trott, toutes épouses de fez millionnaires et célèbres sur les marchés de Tunis, renonçant à leurs préventions, sollicitèrent d’être admises chez l’ancienne esclave. Seule, madame Jansoulet, nouvellement débarquée avec un stock d’idées orientales encombrantes dans son esprit, comme son narghilé, ses œufs d’autruche, tout le bibelot tunisien l’était dans son intérieur, protesta contre ce qu’elle appelait une inconvenance, une lâcheté, et déclara qu’elle ne mettrait jamais les pieds chez « ça ». Il se fit aussitôt chez les dames Gügenheim, Caraïscaki, et autres paquets, un petit mouvement rétrograde, comme il arrive à Paris chaque fois qu’autour d’une position irrégulière en train de se régulariser quelque résistance tenace entraîne des regrets et des défections. On s’était trop avancé pour se retirer, mais on tint à faire mieux sentir le prix de sa bienveillance, le sacrifice de ses préjugés ; et la baronne Marie comprit très bien la nuance rien que dans le ton protecteur des Levantines la traitant de « ma chère enfant… ma bonne petite », avec une hauteur un peu méprisante. Dès lors sa