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« Écoute… »

C’était l’écho de son rire renvoyé du fond d’un caveau, comme si cette idée de la conscience de Le Merquier égayait même les morts.

« Si nous marchions un peu, dit-il, il commence à faire frais sur ce banc. »

Alors, tout en marchant entre les tombes, il lui expliqua avec une certaine fatuité pédante qu’en France les pots-de-vin jouaient un rôle aussi important qu’en Orient. Seulement on y mettait plus de façons que là-bas. On se servait de cache-pots… « Ainsi voilà Le Merquier, n’est-ce pas ?… Au lieu de lui donner ton argent tout à trac dans une grande bourse comme à un séraskier, on s’arrange. Il aime les tableaux, cet homme. Il est toujours en trafic avec Schwalbach, qui se sert de lui pour amorcer de la clientèle catholique… Eh bien ! on lui offre une toile, un souvenir à accrocher sur un panneau de son cabinet. Le tout est d’y mettre le prix… Du reste, tu verras. Je te conduirai chez lui, moi. Je te montrerai comme ça se pratique. »

Et tout heureux de l’émerveillement du Nabab, qui pour le flatter exagérait encore sa stupeur, écarquillait ses yeux d’un air admiratif, le banquier élargissait sa leçon, en faisait un vrai cours de philosophie parisienne et mondaine.

« Vois-tu, copain, ce dont il faut surtout s’occuper à Paris, c’est de garder les apparences… Il n’y a que cela qui compte… les apparences !… Toi tu ne t’en inquiètes pas assez. Tu t’en vas là-dedans, le gilet déboutonné, bon enfant, racontant tes affaires, tel que tu es… Tu te promènes comme à Tunis dans les bazars, dans les souks. C’est pour cela que tu t’es fait rouler, mon brave Bernard. »