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Le baron le regarda en clignant de l’œil, et si drôlement, que ses petits cils noirs disparurent dans sa graisse jaune.

« Non, dit-il, ce n’est pas moi qui suis fort… C’est Marie.

— Marie ?

— Oui, la baronne. Depuis son baptême, elle a quitté son nom de Yamina pour celui de Marie. C’est ça, une vraie femme. Elle connaît la banque mieux que moi, et Paris et les affaires. C’est elle qui mène tout à la maison.

— Tu es bien heureux », soupira Jansoulet. »

Sa tristesse en disait long sur ce qui manquait à mademoiselle Afchin. Puis, après un silence, le baron reprit :

« Elle t’en veut beaucoup Marie, tu sais… Elle ne sera pas contente d’apprendre que nous nous sommes parlé. »

Il fronçait son gros sourcil, comme s’il regrettait leur réconciliation, à la pensée de la scène conjugale qu’elle lui vaudrait. Jansoulet bégaya :

« Je ne lui ai rien fait pourtant…

— Allons, allons, vous n’avez pas été bien gentils pour elle… Pense à l’affront qu’elle a subi lors de notre visite de noces… Ta femme nous faisant dire qu’elle ne recevait pas les anciennes esclaves… Comme si notre amitié ne devait pas être plus forte qu’un préjugé… Les femmes n’oublient pas ces choses-là.

— Mais je n’y suis pour rien, moi, mon vieux. Tu sais comme ces Afchin sont fiers. »

Il n’était pas fier, lui, le pauvre homme. Il avait une mine si piteuse, si suppliante devant le sourcil froncé de son ami, que celui-ci en eut pitié. Décidément, le cimetière l’attendrissait, ce baron.