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marcher d’un air indifférent, comptant que l’autre ne le reconnaîtrait peut-être pas. Mais une voix éraillée et puissante cria derrière lui :

« Lazare ! »

Il s’appelait Lazare, ce richard. Il ne répondit pas, essaya de rejoindre un groupe d’officiers qui marchait devant lui, très loin.

« Lazare ! Oh ! Lazare ! »

Comme autrefois sur le quai de Marseille… Il fut tenté de s’arrêter sous le coup d’une ancienne habitude, puis le souvenir de ses infamies, de tout le mal qu’il avait fait au Nabab, qu’il était en train de lui faire encore, lui revint tout à coup avec une peur horrible poussée au paroxysme, lorsqu’une main de fer brusquement le harponna. Une sueur de lâcheté courut par tous ses membres avachis, son visage jaunit encore, ses yeux clignotèrent au vent de la formidable claque qu’il attendait venir, tandis que ses gros bras se levaient instinctivement pour parer le coup.

« Oh ! n’aie pas peur… Je ne te veux pas de mal, dit Jansoulet tristement… Seulement je viens te demander de ne plus m’en faire. »

Il s’arrêta pour respirer. Le banquier, stupide, effaré ouvrait ses yeux ronds de chouette devant cette émotion suffocante.

« Écoute, Lazare, c’est toi qui es le plus fort à cette guerre que nous nous faisons depuis si longtemps… Je suis à terre, j’y suis, là… Les épaules ont touché… Maintenant, sois généreux, épargne ton vieux copain. Fais-moi grâce, voyons, fais-moi grâce… »

Tout tremblait en ce Méridional effondré, amolli par les démonstrations de la cérémonie funèbre. Hemerlingue, en face de lui, n’était guère plus vaillant. Cette