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store de son côté, du côté où le défilé allait avoir lieu. Mais, au roulement tout proche des tambours, prise d’une rage nerveuse de ne pouvoir échapper à cette obsession, peut-être aussi gagnée par la malsaine curiosité environnante, elle fit sauter le store brusquement, et sa petite tête ardente et pâle se campa sur ses deux poings à la portière :

« Tiens ! tu veux… Je te regarde… »

C’était ce qu’on peut voir de plus beau comme funérailles, les honneurs suprêmes rendus dans tout leur vain apparat aussi sonore, aussi creux que l’accompagnement rythmé des peaux d’âne tendues de crêpe. D’abord les surplis blancs du clergé entrevus dans le deuil des cinq premiers carrosses ; ensuite, traînés par six chevaux noirs, vrais chevaux de l’Érèbe, aussi noirs, aussi lents, aussi pesants que son flot, s’avançait le char funèbre, tout empanaché, frangé, brodé d’argent, de larmes lourdes, de couronnes héraldiques surmontant des M gigantesques, initiales fatidiques qui semblaient celles de la Mort elle-même, la Mort duchesse décorée des huit fleurons.

Tant de baldaquins et de massives tentures dissimulaient la vulgaire carcasse du corbillard, qu’il frémissait, se balançait à chaque pas, de la base au faîte comme écrasé par la majesté de son mort. Sur le cercueil, l’épée, l’habit, le chapeau brodé, défroque de parade qui n’avait jamais servi, reluisaient d’or et de nacre dans la chapelle sombre des tentures parmi l’éclat des fleurs nouvelles qui disaient la date printanière malgré la maussaderie du ciel. À dix pas de distance les gens de la maison du duc ; puis derrière, dans un isolement majestueux, l’officier en manteau portant les pièces d’honneur, véritable étalage de tous