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côtés aventureux et artistiques sa nature par l’espoir d’une vie nouvelle sous un climat inconnu.

Le yacht de plaisance du bey devait l’attendre à Gênes, et d’avance, fermant les yeux dans le fiacre qui l’emmenait, elle voyait les pierres blanches d’un port italien enserrant une mer irisée où le soleil avait déjà des lueurs d’Orient où tout chantait, jusqu’au gonflement des voiles sur le bleu. Justement ce jour-là Paris était boueux, uniformément gris, inondé d’une de ces pluies continues qui semblent faites pour lui seul, être montées en nuages de son fleuve, de ses fumées, de son haleine de monstre, et redescendues en ruissellement de ses toits, de ses gouttières des innombrables fenêtres de ses mansardes. Félicia avait hâte de le fuir, ce triste Paris, et son impatience fiévreuse s’en prenait au cocher qui ne marchait pas, aux chevaux, deux vraies rosses de fiacre, à un encombrement inexplicable de voitures, d’omnibus refoulés aux abords du pont de la Concorde.

« Mais allez donc, cocher, allez donc…

— Je ne peux pas Madame…, c’est l’enterrement. »

Elle mit la tête à la portière et la retira tout de suite épouvantée. Une haie de soldats marchant le fusil renversé, une confusion de casques, de coiffures soulevées au-dessus des fronts sur le passage d’un interminable cortège. C’était l’enterrement de Mora qui défilait…

« Ne restez pas là… Faites le tour… », cria-t-elle au cocher…

La voiture vira péniblement, s’arrachant à regret à ce spectacle superbe que Paris attendait depuis quatre jours, remonta les avenues, prit la rue Montaigne, et, de son petit trot rechigné et lambin déboucha à la Madeleine par le boulevard Malesherbes. Ici, l’en-