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« Ah ! mon ami, quel homme !… Quel courage !… Il n’a oublié personne. Tout à l’heure encore il me parlait de vous.

— Vraiment ?

— Ce pauvre Nabab, disait-il, où en est son élection ? »

Et c’était tout. Le duc n’avait rien ajouté de plus.

Jansoulet baissa la tête. Qu’espérait-il donc ? Était-ce pas assez qu’en un pareil moment, un homme comme Mora eût pensé à lui ?… Il retourna s’asseoir sur sa banquette, retomba dans son anéantissement galvanisé par une minute de fol espoir, assista sans y songer à la désertion presque complète de la vaste salle, et ne s’aperçut qu’il était le seul et dernier visiteur qu’en entendant causer tout haut la valetaille dans le jour qui tombait :

« Moi, j’en ai assez…, je ne sers plus.

— Moi, je reste avec la duchesse… »

Et ces projets, ces décisions en avance de quelques heures sur la mort condamnaient le noble duc plus sûrement encore que la Faculté.

Le Nabab comprit alors qu’il était temps de se retirer, mais auparavant il voulut s’inscrire au registre du suisse. Il s’approcha de la table, se pencha beaucoup pour y voir clair. La page était pleine. On lui indiqua un blanc au-dessous d’une toute petite écriture filamenteuse comme en tracent les doigts trop gros, et, quand il eut signé, le nom d’Hemerlingue se trouva dominer le sien, l’écraser, l’enlacer d’un paraphe insidieux. Superstitieux comme un vrai Latin qu’il était, il fut frappé de ce présage, en emporta l’épouvante avec lui.

Où dînerait-il ?… Au cercle ?… Place Vendôme ?… Entendre encore parler de cette mort qui l’obsédait !… Il