Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mystères, mettait un nom sur chacun d’eux : « Ça c’est madame Moor… Tiens ! madame d’Athis… » Une confusion de couronnes et d’initiales, de caprices et de vieilles habitudes salis en ce moment par la promiscuité, tout cela s’engouffrant dans l’affreux réduit à la lueur d’un lampe, avec un bruit de déluge intermittent, s’en allant à l’oubli par un chemin honteux. Tout à coup Jenkins s’arrêta dans sa besogne destructive. Deux lettres d’un gris de satin frémissaient sous ses doigts…

« Qui ça ? demanda Monpavon devant l’écriture inconnue et le trouble nerveux de l’Irlandais… Ah ! docteur, vous voulez tout lire, nous n’en finirons pas… »

Jenkins, les joues enflammées, ses deux lettres à la main, était dévoré du désir de les emporter, pour les savourer à son aise, se martyriser avec délices en les lisant, peut-être aussi se faire une arme de cette correspondance contre l’imprudente qui l’avait signée. Mais la tenue rigoureuse du marquis l’intimidait. Comment le distraire, l’éloigner ? L’occasion s’offrit elle-même. Perdue dans les mêmes feuillets, une page minuscule d’une écriture sénile et tremblée, attira la curiosité du charlatan, qui dit d’un air naïf :

« Oh ! oh ! voici qui n’a pas l’air d’un billet doux… Mon duc, au secours, je me noie. La cour des comptes a mis de nouveau le nez dans mes affaires…

— Qu’est-ce que vous lisez donc là ?… » fit Monpavon brusquement, en lui arrachant la lettre des mains. Et tout de suite, grâce à la négligence de Mora laissant traîner ainsi des lettres aussi intimes, la situation terrible dans laquelle le laissait la mort de son protecteur lui revint à l’esprit. Dans sa douleur, il n’y avait pas encore songé. Il se dit qu’au milieu de tous ses préparatifs de départ, le duc pourrait bien l’oublier ; et, lai-