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« Ne parlons pas de cet homme, dit André en pâlissant, c’est un misérable à qui je ne dois rien… qui ne m’est rien… »

Il s’arrête, un peu gêné de cette explosion de colère qu’il n’a pas su retenir et ne peut expliquer, et il reprend avec plus de douceur :

« Ma mère, qui vient me voir quelquefois malgré la défense qu’on lui a faite, a été la première informée de nos projets. Elle aime déjà mademoiselle Élise comme sa fille. Vous verrez, mademoiselle, comme elle est bonne, comme elle est belle et charmante. Quel malheur qu’elle appartienne à un si méchant homme qui la tyrannise, la torture jusqu’à lui défendre de prononcer le nom de son fils ! »

Le pauvre Maranne pousse un soupir qui en dit long sur le gros chagrin qu’il cache au fond de son cœur. Mais quelle tristesse pourrait tenir devant le cher visage éclairé de boucles blondes, et la perspective radieuse de l’avenir ? Les graves questions résolues, on peut rouvrir la porte et rappeler les deux exilées. Pour ne pas remplir ces petites têtes de pensées au-dessus de leur âge, on est convenu de ne rien dire du prodigieux événement, de ne rien leur apprendre sinon qu’il faut s’habiller à la hâte déjeuner encore plus vite, pour pouvoir passer l’après-midi au Bois, où Maranne leur lira sa pièce, en attendant d’aller à Suresnes manger une friture chez Kontzen ; tout un programme de délices en l’honneur de la réception de Révolte et d’une autre bonne nouvelle qu’elles sauront plus tard.

« Ah ! vraiment… Quoi donc ? » demandent d’un air innocent les deux fillettes.

Mais si vous croyez qu’elles ne savent pas de quoi il