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voudrait retenir toujours par le bout fragile de leurs ailes ! On cause, on rit doucement en se rappelant certains détails. M. Joyeuse raconte que le secret lui a été révélé tout d’abord par des esprits frappeurs, un jour qu’il était seul chez André. « Comment vont les affaires, monsieur Maranne ? » demandaient les esprits, et lui-même a répondu en l’absence de Maranne : « Pas trop mal pour la saison, messieurs les esprits. » Il faut voir de quel air malicieux le petit homme répète : « Pas trop mal pour la saison… », tandis que mademoiselle Élise, toute confuse à l’idée que c’est avec son père qu’elle correspondait ce jour-là, disparaît sous ses boucles blondes…

Après cette première émotion, les voix posées, on parle plus sérieusement. Il est certain que madame Joyeuse née de Saint-Amand n’aurait jamais consenti à ce mariage. André Maranne n’est pas riche, noble encore moins ; mais le vieux comptable n’a pas, heureusement, les mêmes idées de grandeur que sa femme. Ils s’aiment, ils sont jeunes, bien-portants et honnêtes, voilà de belles dots constituées et qui ne coûteront pas lourd d’enregistrement chez le notaire. Le nouveau ménage s’installera à l’étage au-dessus. On gardera la photographie, à moins que Révolte ne fasse des recettes énormes. (On peut se fier à l’imaginaire pour cela.) En tout cas le père sera toujours près d’eux, il a une bonne place chez son agent de change, quelques expertises à faire pour le Palais ; pourvu que le petit navire vogue toujours dans les eaux du grand, tout ira bien, avec l’aide du flot, du vent et de l’étoile.

Une seule question préoccupe M. Joyeuse : « Les parents d’André consentiront-ils à ce mariage ? Comment le docteur Jenkins, si riche, si célèbre… »