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mes dans les allées du bout de son fouet, à l’abri, sur son siège en perchoir, des rafles salutaires de la police. Peut-être avait-il besoin, pour émoustiller sa royale maîtresse, de pavaner ainsi sous ses fenêtres en compagnie de Suzanne Bloch, dite Suze la Rousse.

« Hep !… hep donc ! »

Le cheval, un grand trotteur aux jambes fines, vrai cheval de cocotte, se remettait de son écart dans le droit chemin avec des pas de danse, des grâces sur place sans avancer. Jansoulet lâcha sa serviette, et comme s’il avait laissé choir en même temps toute sa gravité, son prestige d’homme public, il fit un bond terrible et sauta au mors de la bête, qu’il maintint de ses fortes mains à poils.

Une arrestation rue Royale, et en plein jour, il fallait ce Tartare pour oser un coup pareil !

— À bas, dit-il à Moëssard dont la figure s’était plaquée de vert et de jaune en l’apercevant. À bas, tout de suite…

— Voulez-vous bien lâcher mon cheval, espèce d’enflé !…

— Fouette, Suzanne, c’est le Nabab.

Elle essaya de ramasser les rênes, mais l’animal maintenu, se cabra si vivement qu’un peu plus comme une fronde, le fragile équipage aurait envoyé au loin tous ceux qu’il portait. Alors, furieuse d’une de ces rages de faubourg qui font éclater en ces filles tout le vernis de leur luxe et de leur peau, elle cingla le Nabab de deux coups de fouet qui glissèrent sur le visage tanné et dur, mais lui communiquèrent une expression féroce, accentuée par le nez court devenu blanc, fendu au bout comme celui d’un terrier chasseur.

— Descendez, nom de Dieu, ou je chavire tout… »