Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/306

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de lui, filou et menteur comme votre maître, Jansoulet n’est jamais venu à Paris avant cette fois. »

Francis était assis un peu en dehors du cercle que nous faisions tous autour de la « marquise », en train de siroter quelque chose de doux parce que le champagne lui fait mal aux nerfs et puis que ce n’est pas une boisson assez chic. Il se leva gravement, sans quitter son verre, et, s’avançant vers M. Noël, il lui dit d’un air posé :

« Vous manquez de tenue, mon cher. Déjà l’autre soir, chez vous, j’ai trouvé votre ton grossier et malséant. Cela ne sert à rien d’insulter les gens, d’autant que je suis prévôt de salle, et que, si nous menions les choses plus loin, je pourrais vous fourrer deux pouces de fer dans le corps à l’endroit qu’il me plairait, mais je suis bon garçon. Au lieu d’un coup d’épée, j’aime mieux vous donner un conseil dont votre maître pourra tirer profit. Voici ce que je ferais à votre place : j’irais trouver Moëssard et je l’achèterais sans marchander. Hemerlingue lui a donné vingt mille francs pour parler, je lui en offrirais trente mille pour se taire.

— Jamais… jamais…, vociféra M. Noël… J’irai plutôt lui dévisser la tête à ce scélérat de bandit.

— Vous ne dévisserez rien du tout. Que la calomnie soit vraie ou fausse, vous en avez vu l’effet ce soir. C’est un échantillon des plaisirs qui vous attendent. Que voulez-vous, mon cher ? Vous avez jeté trop tôt vos béquilles et prétendu marcher tout seul. C’est bon quand on est d’aplomb, ferme sur ses jambes ; mais quand on n’a pas déjà le pied très solide, et qu’on a le malheur de sentir Hemerlingue à ses trousses, mauvaise affaire… Avec ça, votre patron