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du tableau, les prisonniers encadrés par la voûte du porche et dans le noir de son ombre, avec le fond immense tout en lumière, des valets de pied courant sous des parapluies, des noms de cochers, des noms de maîtres qu’on criait, des coupés s’approchant au pas, où montaient des couples effarés.

« La voiture de M. Jansoulet ! »

Tout le monde se retourna, mais on sait que cela ne le gênait guère, lui. Et tandis qu’au milieu de ces élégantes, de ces illustres, de ce Tout-Paris varié qui se trouvait là avec un nom à mettre sur chacune de ces figures, le bon Nabab posait un peu, en attendant ses gens, une main nerveuse et bien gantée se tendit vers lui, et le duc de Mora, qui allait rejoindre son coupé, lui jeta en passant avec cette effusion que le bonheur donne aux plus réservés :

« Mes compliments mon cher député… »

C’était dit à haute voix et chacun put l’entendre : « Mon cher député. »

Il y a dans la vie de tous les hommes une heure d’or, une cime lumineuse où ce qu’ils peuvent espérer de prospérités, de joies, de triomphes, les attend et leur est donné. Le sommet est plus ou moins haut, plus ou moins rugueux et difficile à monter ; mais il existe également pour tous, pour les puissants et pour les humbles. Seulement, comme ce plus long jour de l’année où le soleil a fourni tout son élan et dont le lendemain semble un premier pas vers l’hiver, ce summum des existences humaines n’est qu’un moment à savourer, après lequel on ne peut plus que redescendre. Cette fin d’après-midi du premier mai, rayée de pluie et de soleil il faut te la rappeler, pauvre homme, en fixer à