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« Rabelais a menti, comme mentent tous les hommes… La vérité c’est que le renard n’en peut plus, qu’il est à bout d’haleine et de courage, prêt à tomber dans le fossé, et que si le lévrier s’acharne encore… »

Mora tressaillit, devint un peu plus pâle, tout ce qu’il avait de sang refluant à son cœur. Deux flammes sombres se croisèrent, deux mots rapides furent échangés du bout des lèvres, puis le duc s’inclina profondément et s’éloigna d’une marche envolée et légère comme si les dieux le portaient.

Il n’y avait en ce moment dans le palais qu’un homme aussi heureux que lui, c’était le Nabab. Escorté de ses amis, il tenait, remplissait la grande travée à lui seul, parlant haut, gesticulant, tellement glorieux qu’il en paraissait presque beau comme si, à force de contempler son buste naïvement et longuement, il lui avait pris un peu de cette idéalisation splendide dont l’artiste avait nimbé la vulgarité de son type. La tête levée de trois quarts, dégagée du large col entrouvert, attirait sur la ressemblance les remarques contradictoires des passants et le nom de Jansoulet, répété tant de fois par les urnes électorales, l’était encore par les plus jolies bouches de Paris, par ses voix les plus puissantes. Tout autre que le Nabab eût été gêné d’entendre s’exclamer sur son passage ces curiosités qui n’étaient pas toujours sympathiques. Mais l’estrade, le tremplin allaient bien à cette nature plus brave sous le feu des regards, comme ces femmes qui ne sont belles ou spirituelles que dans le monde, et que la moindre admiration transfigure et complète.

Chaland, il sentait s’apaiser cette joie délirante, lorsqu’il croyait avoir bu toute son ivresse orgueilleuse, il n’avait qu’à se dire : « Député !… Je suis député ! »