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— Heureuse surtout de te retrouver, petite Aline… Il y a si longtemps…

— Je crois bien, méchante… À qui la faute ?… »

Et, dans le plus triste recoin de sa mémoire, Félicia retrouve la date de la rupture coïncidant pour elle avec une autre date où sa jeunesse est morte dans une scène inoubliable.

« Et qu’as-tu fait, mignonne, dans tout ce temps ?

— Oh ! moi, toujours la même chose… rien dont on puisse parler…

— Oui, oui… nous savons ce que tu appelles ne rien faire, petite vaillante… C’est donner ta vie aux autres n’est-ce pas ? »

Mais Aline n’écoutait plus. Elle souriait affectueusement droit devant elle, et Félicia, se retournant pour voir à qui s’adressait ce sourire, aperçut Paul de Géry qui répondait au discret et tendre bonjour de mademoiselle Joyeuse.

« Vous vous connaissez donc ?

— Si je connais M. Paul !… Je crois bien. Nous causons de toi assez souvent. Il ne te l’a donc jamais dit ?

— Jamais… C’est un affreux sournois… »

Elle s’arrêta net, l’esprit traversé d’un éclair ; et vivement, sans écouter de Géry qui s’approchait pour saluer son triomphe, elle se pencha vers Aline et lui parla tout bas. L’autre rougissait, se défendait avec des sourires, des mots à demi-voix : « Y songes-tu ?… À mon âge… Une bonne maman ! » Et saisissait enfin le bras de son père pour échapper à quelque raillerie amicale.

Quand Félicia vit les deux jeunes gens s’éloigner du même pas, quand elle eut compris — ce qu’ils ne