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celle de l’ami Paul par l’effet d’une ressemblance plus morale que physique et l’autorité douce qu’ils exerçaient tous deux sur sa pensée.

« Aline !

— Félicia ! »

Si rien n’est plus problématique que l’amitié de deux mondaines partageant des royautés de salon et se prodiguant les épithètes flatteuses, les menues grâces de l’affectuosité féminine, les amitiés d’enfance conservent chez la femme une franchise d’allure qui les distingue, les fait reconnaître entre toutes, liens tressés naïvement et solides comme ces ouvrages de petites filles où une main inexpérimentée a prodigué le fil et les gros nœuds, plantes venues aux terrains jeunes, fleuries mais fortes en racines, pleines de vie et de repousses. Et quel bonheur, la main dans la main — rondes du pensionnat où êtes-vous ? — de retourner de quelques pas en arrière avec une égale connaissance du chemin et de ses incidents minimes, et le même rire attendri. Un peu à l’écart, les deux jeunes filles, à qui il a suffi de se retrouver en face l’une de l’autre pour oublier cinq années d’éloignement, pressent leurs paroles et leurs souvenirs, pendant que le petit père Joyeuse, sa tête rougeaude éclairée d’une cravate neuve, se redresse tout fier de voir sa fille accueillie ainsi par une illustration. Fier, certes il a raison de l’être, car cette petite Parisienne, même auprès de sa resplendissante amie, garde son prix de grâce, de jeunesse, de candeur lumineuse, sous ses vingt ans veloutés et dorés que la joie du revoir épanouit en fraîche fleur.

« Comme tu dois être heureuse !… Moi, je n’ai encore rien vu ; mais j’entends dire à tout le monde que c’est si beau…