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Des taches sur les satins fripés, des cendres ternissant les beaux marbres, des bottes marquées sur le tapis faisaient songer à un immense wagon de première classe, où s’incrustent toutes les paresses, les impatiences et l’ennui d’un long voyage, avec le dédain gâcheur du public pour un luxe qu’il a payé. Au milieu de ce décor tout posé, encore chaud de l’atroce comédie qui se jouait là chaque jour, sa propre image reflétée dans vingt glaces, froides et blêmes, se dressait devant lui, sinistre et comique à la fois, dépaysée dans son vêtement d’élégance, les yeux bouffis, la face enflammée et boueuse.

Quel lendemain visible et désenchantant à l’existence folle qu’il menait !

Il s’abîma un moment dans de sombres pensées ; puis il eut ce coup d’épaules vigoureux qui lui était familier ce mouvement de porte-balles par lequel il se débarrassait des préoccupations trop cruelles, remettait en place ce fardeau que tout homme emporte avec lui, qui lui courbe le dos, plus ou moins selon son courage ou sa force, et entra chez de Géry, déjà levé, debout en face de son bureau ouvert, où il classait des paperasses.

« Avant tout, mon ami », dit Jansoulet en refermant doucement la porte sur leur entretien, « répondez-moi franchement à ceci. Est-ce bien pour les motifs exprimés dans votre lettre que vous êtes résolu à me quitter ? N’y a-t-il pas là-dessous quelqu’une de ces infamies, comme je sais qu’il en circule contre moi dans Paris ? Vous seriez, j’en suis sûr, assez loyal pour me prévenir et me mettre à même de me… de me disculper devant vous. »

Paul l’assura qu’il n’avait pas d’autres raisons pour