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village, les bandits y font leur apparition. L’aîné, Scipion, est venu dimanche dernier entendre la messe à Pozzonegro. Dire qu’on les aime, et que la poignée de main sanglante de ces misérables est agréable à tous ceux qui la reçoivent, ce serait calomnier les pacifiques habitants de cette commune ; mais on les craint et leur volonté fait loi.

« Or, voilà que les Piedigriggio se sont mis dans l’idée de protéger notre concurrent aux élections, protection redoutable, qui peut faire rater deux cantons entiers contre nous, car les coquins ont les jambes aussi longues, à proportion, que la portée de leurs fusils. Nous avons naturellement les gendarmes pour nous, mais les bandits sont bien plus puissants. Comme nous disait notre aubergiste, ce matin : « Les gendarmes, ils s’en vont, , les banditti, ils restent. » Devant ce raisonnement si logique, nous avons compris qu’il n’y avait qu’une chose à faire, traiter avec les Pieds-Gris, passer un forfait. Le maire en a dit deux mots au vieux, qui a consulté ses fils, et ce sont les conditions du traité que l’on discute en bas. D’ici, j’entends la voix du gouverneur : « Allons, mon cher camarade, tu sais, je suis un vieux Corse, moi… » Et puis les réponses tranquilles de l’autre, hachées en même temps que son tabac par le bruit agaçant des grands ciseaux. Le cher camarade ne m’a pas l’air d’avoir confiance ; et, tant que les écus n’auront pas sonné sur la table je crois bien que l’affaire n’avancera pas.

« C’est que le Paganetti est connu dans son pays natal. Ce que vaut sa parole est écrit sur la place de Corte, qui attend toujours le monument de Paoli, dans les vastes champs de carottes qu’il a trouvé moyen de