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fées de nœuds, de pompons, de sonnailles d’argent et caparaçonnées de la tête aux pieds de ces merveilleuses sparteries dont la Provence semble avoir emprunté aux Maures et perfectionné l’art délicat. Si le bey n’était pas content, alors !

Le Nabab, Monpavon, le préfet, un des généraux montèrent pour l’aller dans le premier carrosse, les autres prirent place dans le second, dans des voitures à la suite. Les curés, les maires, tout enflammés de la bombance, coururent se mettre à la tête des orphéons de leur paroisse qui devaient aller au-devant du cortège, et tout s’ébranla sur la route de Giffas.

Il faisait un temps superbe, mais chaud et lourd, en avance de trois mois sur la saison, comme il arrive souvent en ces pays impétueux où tout se hâte, où tout arrive avant l’heure. Quoiqu’il n’y eût pas un nuage visible, l’immobilité de l’atmosphère, où le vent venait de tomber subitement comme une voile qu’on abat, l’espace ébloui, chauffé à blanc, une solennité silencieuse planant sur la nature, tout annonçait un orage en train de se former dans quelque coin de l’horizon. L’immense torpeur des choses gagnait peu à peu les êtres. On n’entendait que les sonnailles des mules allant d’un amble assez lent, la marche rythmée et lourde sur la poussière craquante des bandes de chanteurs que Cardailhac disposait de distance en distance, et de temps à autre, dans la double haie grouillante qui bordait le chemin au loin déroulé, un appel, des voix d’enfants, le cri d’un revendeur d’eau fraîche, accompagnement obligé de toutes les fêtes du Midi en plein air.

« Ouvrez donc votre côté, général, on étouffe », disait Monpavon, cramoisi, craignant pour sa peinture ; et