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saient passer par intervalles un long souffle grelottant, comme la plainte endormie d’un enfant qu’on a battu et qui a beaucoup pleuré…

Un pas lourd dans l’escalier, une grosse voix douce disant tout bas : « C’est moi… ne bougez pas. » Et Jansoulet parut. Tout le monde couché au château, comme il savait les habitudes de la mère et que sa lampe veillait toujours la dernière allumée dans la maison, il venait la voir, causer un peu avec elle, lui donner ce vrai bonjour du cœur qu’ils n’avaient pu échanger devant les autres. « Oh ! restez, mon cher Paul ; devant vous, nous ne nous gênons pas. » Et, redevenu enfant en présence de sa mère, il jeta par terre à ses pieds tout son grand corps, avec une câlinerie de gestes et de paroles vraiment touchante. Elle aussi était bien heureuse de l’avoir là tout près, mais elle s’en trouvait quand même un peu gênée, le considérant comme un être tout-puissant, extraordinaire, l’élevant dans sa naïveté à la hauteur d’un Olympien entouré d’éclairs et de foudres, possédant la toute-puissance. Elle lui parlait, s’informait s’il était toujours content de ses amis, de ses affaires, sans toutefois oser lui adresser la question qu’elle avait faite à de Géry : « Pourquoi ne m’a-t-on pas amené mes petits-enfants ? » Mais c’est lui le premier qui en parla :

« Ils sont en pension, maman… sitôt les vacances, on vous les enverra avec Bompain… Vous vous rappelez bien, Bompain Jean-Baptiste ?… Et vous les garderez deux grands mois. Ils viendront près de vous se faire raconter de belles histoires, ils s’endormiront la tête sur votre tablier, là, comme ça… »

Et lui-même, mettant sa tête crépue, lourde comme un lingot, sur les genoux de la vieille, se rappelant les