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pavillon aux rideaux blancs, aux tentures claires chargées d’images où la mère du Nabab essayait de faire revivre son passé d’artisane à l’aide de quelques reliques sauvées du naufrage.

Paul causait doucement en face de la belle vieille aux traits réguliers et sévères, aux cheveux blancs et massés comme le chanvre de sa quenouille, et qui tenait droit sur sa chaise son buste plat serré dans un petit châle vert, n’ayant de sa vie appuyé son dos à un dossier de siège, ne s’étant jamais assise dans un fauteuil. Il l’appelait Françoise, elle l’appelait M. Paul. C’étaient de vieux amis… Et devinez de quoi ils parlaient. De ses petits enfants, pardi ! des trois garçons de Bernard qu’elle ne connaissait pas, qu’elle aurait tant voulu connaître.

« Ah ! monsieur Paul, si vous saviez comme il m’en tarde… J’aurais été si heureuse s’il me les avait amenés, mes trois petits, au lieu de tous ces beaux hommes… Pensez que je ne les ai jamais vus, excepté sur les portraits qui sont là… Leur mère me fait un peu peur, c’est une grande dame tout à fait, une demoiselle Afchin… Mais eux, les enfants, je suis sûre qu’ils ne sont pas farauds et qu’ils aimeraient bien leur vieille grand… Moi, il me semblerait que c’est leur père tout petit, et je leur rendrais ce que je n’ai pas donné au père… car, voyez-vous, monsieur Paul, les parents ne sont pas toujours justes. On a des préférences. Mais Dieu est juste, lui. Les figures qu’on a le mieux fardées et bichonnées au détriment des autres, il faut voir comme il vous les arrange… Et les préférences des vieux portent souvent malheur aux jeunes. »

Elle soupira en regardant du côté de la grande alcôve dont les hauts lambrequins, les rideaux tombants lais-