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qu’on soupe très-bien à l’ambassade d’Autriche, que l’ambassade d’Espagne néglige un peu les vins, et que c’est encore aux Affaires étrangères qu’on trouve les meilleurs chaud-froid de volailles. Et voilà la vie de ce drôle de ménage. Rien de ce qu’ils ont ne tient sur eux, tout est faufilé, attaché avec des épingles. Un coup de vent, et tout s’envole. Mais au moins ils sont sûrs de ne rien perdre. C’est ça qui donne au marquis cet air blagueur de père Tranquille qu’il a en vous regardant, les deux mains dans ses poches, comme pour vous dire « Eh ben, après ? Qu’est-ce qu’on peut me faire ? »

Et le petit groom, dans l’attitude susdite, avec sa tête d’enfant vieillot et vicieux, imitait si bien son patron qu’il me semblait le voir lui-même au milieu de notre conseil d’administration, planté devant le gouverneur et l’accablant de ses plaisanteries cyniques. C’est égal, il faut avouer que Paris est une fièrement grande ville pour qu’on puisse y vivre ainsi quinze ans, vingt ans d’artifices, de ficelles, de poudre aux yeux, sans que tout le monde vous connaisse, et faire encore une entrée triomphante dans un salon derrière son nom crié à toute volée : « Monsieur le marquis de Bois-Landry. »

Non, voyez-vous, ce qu’on apprend de choses dans une soirée de domestiques ; ce que la société parisienne est curieuse à regarder ainsi par le bas, par les sous-sols, il faut y être allé pour le croire. Ainsi, me trouvant entre M. Francis et M. Louis, voici un petit bout de conversation confidentielle que j’ai saisi sur le sire de Monpavon. M. Louis disait :

« Vous avez tort, Francis, vous êtes en fonds en ce moment. Vous devriez en profiter pour rendre cet argent au Trésor.