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« Monsieur de Géry », lui dit-il d’une voix tremblante, avec des yeux flamboyants derrière leurs lunettes, la seule chose qu’on pût voir de son visage dans la nuit, « j’ai une explication à vous demander. Voulez-vous monter chez moi un instant ?… »

Il n’y avait entre ce jeune homme et lui que des relations banales de deux habitués de la même maison qu’aucun autre lien ne rattache, qui semblent même séparés par une certaine antipathie de nature, de manière d’être. Quelle explication pouvaient-ils donc avoir ensemble ? Il le suivit fort intrigué.

L’aspect du petit atelier transi sous son vitrage, la cheminée vide, le vent soufflant comme au-dehors et faisant vaciller la bougie, seule flamme de cette veillée de pauvre et de solitaire reflétée sur des feuillets épars tout griffonnés, enfin cette atmosphère des endroits habités où l’âme des habitants se respire, fit comprendre à de Géry l’abord exalté d’André Maranne, ses longs cheveux rejetés et flottants, cette apparence un peu excentrique bien excusable quand on la paye d’une vie de souffrances et de privations, et sa sympathie alla tout de suite vers ce courageux garçon dont il devinait d’un coup d’œil toutes les fiertés énergiques. Mais l’autre était bien trop ému pour s’apercevoir de cette évolution. Sitôt la porte refermée, avec l’accent d’un héros de théâtre s’adressant au traître séducteur :

« Monsieur de Géry, lui dit-il, je ne suis pas encore un Cassandre… »

Et devant la stupéfaction de son interlocuteur :

« Oui, oui, nous nous entendons… J’ai très bien compris ce qui vous attire chez M. Joyeuse, et l’accueil empressé qu’on vous y fit ne m’a pas échappé non plus… Vous êtes riche, vous êtes noble, on ne peut hé-