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infimes comme des passereaux au bord d’un toit. Du reste André Maranne, avec les ressources inépuisables de son grand front plein d’illusion, expliquait sans amertume l’indifférence du public. Tantôt la saison était défavorable ou bien l’on se plaignait du mauvais état des affaires, et il finissait par un même refrain consolant : « Quand j’aurai fait jouer Révolte ! » C’était le titre de sa pièce.

« C’est étonnant tout de même », dit la quatrième demoiselle Joyeuse, douze ans, les cheveux à la chinoise « c’est étonnant qu’on fasse si peu d’affaires avec un si beau balcon !…

— Et puis le quartier est très passant », ajoute Élise avec assurance. Bonne-Maman lui fait remarquer en souriant que le boulevard des Italiens l’est encore davantage.

— Ah ! s’il était boulevard des Italiens… », fait M. Joyeuse tout songeur, et le voilà parti sur sa chimère arrêtée tout à coup par un geste et ces mots qu’il prononce d’une manière lamentable « fermé pour cause de faillite ». En une minute, le terrible Imaginaire vient d’installer son ami dans un splendide appartement du boulevard où il gagne un argent énorme, tout en augmentant ses dépenses d’une façon si disproportionnée qu’un « pouf » formidable engloutit en peu de mois photographe et photographie. On rit beaucoup quand il donne cette explication ; mais en somme chacun est d’accord que la rue Saint-Ferdinand, quoique moins brillante, est bien plus sûre que le boulevard des Italiens. En outre, elle se trouve tout près du bois de Boulogne et si une fois le grand monde se mettait à passer par ici… Cette belle société que sa mère recherchait tant, est l’idée fixe de mademoiselle Henriette ;