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« Ah ! voilà M. André… Élise, vite une tasse… Yaïa, les petits gâteaux… » Pendant ce temps mademoiselle Henriette, la troisième des demoiselles Joyeuse, qui avait hérité de sa mère, née de Saint-Amand, un certain côté mondain, voyant cette affluence, ce soir-là, dans les salons, se précipitait pour allumer les deux bougies du piano.

— Mon cinquième acte est fini… », s’écria le nouveau venu dès en entrant, puis il s’arrêta net. « Ah ! pardon », et sa figure prit une expression un peu déconfite en face de l’étranger. M. Joyeuse les présenta l’un à l’autre : M. Paul de Géry — M. André Maranne, non sans une certaine solennité. Il se rappelait les anciennes réceptions de sa femme ; et les vases de la cheminée, les deux grosses lampes, le bonheur du jour, les fauteuils groupés en rond avaient l’air de partager cette illusion, plus brillants et rajeunis par cette presse inaccoutumée.

« Alors, votre pièce est finie ?

— Finie, monsieur Joyeuse, et je compte bien vous la lire un de ces soirs.

— Oh ! oui, monsieur André… Oh ! oui… » dirent en chœur toutes les jeunes filles.

Le voisin travaillait pour le théâtre et personne ici ne doutait de son succès. Par exemple, la photographie promettait moins de bénéfices. Les clients étaient très rares, les passants mal disposés. Pour s’entretenir la main et dérouiller son appareil neuf, M. André recommençait tous les dimanches la famille de ses amis, qui se prêtait aux expériences avec une longanimité sans égale, la prospérité de cette photographie suburbaine et commençante étant pour tous une affaire d’amour-propre, éveillant même chez les jeunes filles, cette confraternité touchante qui serre l’une contre l’autre les destinées