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l’avait chargé de faire frapper à la Monnaie de Paris pour plusieurs millions de pièces d’or d’un nouveau module ; puis la commande, retirée tout à coup, avait été donnée à Hemerlingue. Outragé publiquement, Jansoulet riposta par une manifestation publique, mettant en vente tous ses biens, son palais du Bardo donné par l’ancien bey, ses villas de la Marse, tout en marbre blanc, entourées de jardins splendides ses comptoirs les plus vastes, les plus somptueux de la ville, chargeant enfin l’intelligent Bompain de lui ramener sa femme et ses enfants pour bien affirmer un départ définitif. Après un éclat pareil, il ne lui était pas facile de retourner là-bas ; c’est ce qu’il essayait de faire comprendre à mademoiselle Afchin, qui ne lui répondait que par de longs gémissements. Il tâcha de la consoler, de l’amuser, mais quelle distraction faire arriver jusqu’à cette nature monstrueusement apathique ? Et puis, pouvait-il changer le ciel de Paris, rendre à la malheureuse Levantine son patio dallé de marbre où elle passait de longues heures dans un assoupissement frais, délicieux, à entendre l’eau ruisseler sur la grande fontaine d’albâtre à trois bassins superposés, et sa barque dorée, recouverte d’un rondelet de pourpre, que huit rameurs tripolitains, souples et vigoureux, promenaient, le soleil couché, sur le beau lac d’El-Baheira ? Si luxueux que fût l’appartement de la place Vendôme, il ne pouvait compenser la perte de ces merveilles. Et plus que jamais elle s’abîmait dans la désolation. Un familier de la maison parvint pourtant à l’en tirer, Cabassu, celui qui s’intitulait sur ses cartes : « professeur de massage », un gros homme noir et trapu, sentant l’ail et la pommade, carré d’épaules, poilu jusqu’aux yeux, et qui savait des histoires de sérails parisiens, des