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amoureuses, sous le caprice de ses pointes et de ses ballons.

Paris est plein de ces astres éteints, retombés dans la foule.

Quelques-uns de ces illustres, de ces triomphateurs de jadis, gardent une rage au cœur ; d’autres, au contraire savourent le passé béatement, digèrent dans un bien-être ineffable toutes leurs joies glorieuses et finies, ne demandant que du repos, le silence et l’ombre, de quoi se souvenir et se recueillir, si bien que, quand ils meurent, on est tout étonné d’apprendre qu’ils vivaient encore.

Constance Crenmitz était de ces heureux. Mais quel singulier ménage d’artistes que celui de ces deux femmes, aussi enfants l’une que l’autre, mettant en commun l’inexpérience et l’ambition, la tranquillité d’une destinée accomplie et la fièvre d’une vie en pleine lutte, toutes les différences visibles même dans la tournure tranquille de cette blonde, toute blanche comme une rose déteinte, paraissant habillée sous ses couleurs claires d’un reste de feu de Bengale, et cette brune aux traits corrects, enveloppant presque toujours sa beauté d’étoffes sombres, aux plis simples, comme d’un semblant de virilité.

L’imprévu, le caprice, l’ignorance des moindres choses amenaient dans les ressources du ménage un désordre extrême, d’où l’on ne sortait parfois qu’à force de privations, de renvois de domestiques, de réformes risibles dans leur exagération. Pendant une de ces crises, Jenkins avait fait des offres voilées, délicates, repoussées avec mépris par Félicia.

« Ce n’est pas bien, lui disait Constance, de rudoyer ainsi ce pauvre docteur. En somme ce qu’il faisait