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visite des parents, le jeudi, dans un petit jardin planté d’arbustes en fleurs ou dans l’immense parloir aux dessus de portes sculptés et dorés. La première entrée de Félicia au milieu de cette maison presque monastique causa bien une certaine rumeur, sa toilette choisie par la danseuse autrichienne, ses cheveux bouclés jusqu’à la taille, cette allure déhanchée et garçon excitèrent quelque malveillance, mais elle était Parisienne, et vite assimilée à toutes les situations, à tous les endroits. Quelques jours après, mieux que personne elle portait le petit tablier noir, auquel les plus coquettes attachaient leur montre, la jupe droite — prescription sévère et dure, à cette époque, où la mode élargissait les femmes d’une infinité de volants — la coiffure d’uniforme, deux nattes rattachées un peu bas, dans le cou, à la façon des paysannes romaines.

Chose étrange, l’assiduité des classes, leur calme exactitude convinrent à la nature de Félicia, toute intelligente et vivante, où le goût de l’étude s’égayait d’une expansion juvénile à l’aise dans la bonne humeur bruyante des récréations. On l’aima. Parmi ces filles de grands industriels, de notaires parisiens ou de fermiers gentilshommes, tout un petit monde solide, un peu gourmé, le nom bien connu du vieux Ruys, le respect dont s’entoure à Paris une réputation artistique, firent à Félicia une place à part et très enviée, rendue plus brillante encore par ses succès de classe, un véritable talent de dessinateur, et sa beauté, cette supériorité qui s’impose même chez les toutes jeunes filles.

Dans l’atmosphère purifiée du pensionnat, elle ressentait une douceur extrême à se féminiser, à reprendre son sexe, à connaître l’ordre, la régularité, autrement que de cette danseuse aimable dont les bai-