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Savoir aussi quel âge elles avaient.

« Aline a vingt ans, monsieur le baron. C’est l’aînée…Puis nous avons Élise qui prépare son examen de dix-huit ans… Henriette qui en a quatorze, et Zaza ou Yaïa qui n’a que douze ans. »

Ce petit nom de Yaïa amusait prodigieusement M. le baron, qui voulait connaître encore quelles étaient les ressources de cette intéressante famille.

« Mes appointements, monsieur le baron… pas autre chose… J’avais un peu d’argent de côté, mais la maladie de ma pauvre femme, les études de ces demoiselles…

— Ce que vous gagnez ne suffit pas, mon cher Joyeuse… Je vous porte à mille francs par mois.

— Oh ! monsieur le baron, c’est trop… »

Mais quoiqu’il eût dit cette dernière phrase tout haut, dans le dos d’un sergent de ville qui regarda passer d’un œil de méfiance ce petit homme gesticulant et hochant la tête, le pauvre Imaginaire ne se réveilla pas. Il s’admira rentrant chez lui, annonçant la nouvelle à ses filles, les conduisant le soir au théâtre, pour fêter cet heureux jour. Dieu ! qu’elles étaient jolies sur le devant de leur loge, les demoiselles Joyeuse, quel bouquet de têtes vermeilles ! Et puis, le lendemain, voilà les deux aînées demandées en mariage par… Impossible de savoir par qui, car M. Joyeuse venait de se retrouver subitement sous la voûte de l’hôtel Hemerlingue, devant la porte battante surmontée d’un « Caisse » en lettres d’or.

« Je serai donc toujours le même », se dit-il en riant un peu et passant sa main sur son front où la sueur perlait.

Mis en belle humeur par sa chimère, par le feu ron-