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Endroits où j’ai souffert. Soirée chez les Z***. L’homme au piano, chantant : « Gamahut, écoutez-moi donc ». Visages blafards, décolorés. Je cause sans savoir ce que je dis. Erré dans les salons. Rencontré Mme G*** malheureuse femme dont je sais les douloureux et lamentables dessous. Les femmes sont héroïques pour souffrir dans le monde, leur champ de bataille.

Tous les soirs, contracture des côtes atroce. Je lis, longtemps, assis sur mon lit — la seule position endurable ; pauvre vieux Don Quichotte blessé, à cul dans son armure, au pied d’un arbre.

Tout à fait l’armure, cruellement serrée sur les reins d’une boucle en acier — ardillons de braise, pointus comme des aiguilles. Puis le chloral, le « fin-fin » de ma cuiller dans le verre, et le repos.

Des mois que cette cuirasse me tient, que je n’ai pas pu me dégrafer, respirer.

Errant la nuit dans les corridors, j’entends sonner quatre heures à des tas de clochers, de pendules, proches ou lointains, et cela durant dix minutes.

Pourquoi pas la même heure pour tous ? Et les raisons m’en viennent en foule. Au résumé, nos vies sont très différentes les unes des autres, et les écarts de l’heure symbolisent cela.

La caserne voisine. Voix de santé, jeunes et fortes. Fenêtres allumées toute la nuit. Taches blanches au fond du couloir.