Page:Daudet - La doulou (la douleur) 1887 - 1895 ; Le trésor d’Arlatan (1897), 1930.djvu/37

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le soir, dîné avec Goncourt, causerie jusqu’après onze heures, l’esprit libre.

Mauvaise nuit, réveillé en sursaut à trois heures ; pas de douleurs, mais des nerfs et la peur de la douleur. J’ai dû reprendre du chloral — ça m’a fait 3 gr. 1/2 pour la nuit — et lire vingt minutes.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je suis en ce moment avec le vieux Livingstone, au fond de l’Afrique, et la monotonie de cette marche sans fin, presque sans but, ces préoccupations perpétuelles de hauteur barométrique, de repas vagues, ce déroulement silencieux, inagité, de grands paysages, est vraiment pour moi une lecture merveilleuse.

Mon imagination ne demande presque plus rien au livre, qu’un cadre où elle puisse vaguer. — « Je fais trois trous de plus à ma ceinture et je me serre », dit le bon vieux fou, un jour de famine. Quel excellent voyageur j’aurais fait dans l’Afrique Centrale, moi, avec ma contraction des côtes, l’éternelle ceinture que je porte, des trous de douleur, le goût de manger à jamais perdu.

Bien singulière cette peur que me fait la douleur maintenant, du moins cette douleur-là. C’est supportable, et pourtant je ne peux pas la supporter. C’est un effroi ; et l’appel aux anesthésiques comme un cri au secours, un piaillement de femme avant le vrai danger.

La petite maison de la rue ***. J’y pense. Je me défends longtemps. Puis j’y vais. Soulagé même dès l’arrivée. Douceur. Jardin. Un merle qui chante.