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Suzannet se hâta de repartir, pressé d’arriver en Vendée. Il supposait avec raison que sa présence allait y être nécessaire. Il y trouva un préfet ferme et fidèle. En attendant des ordres qu’il espérait recevoir bientôt, il tâcha, de concert avec lui, de pourvoir tant bien que mal aux nécessités les plus urgentes et de ranimer le zèle des partisans de la royauté.

Malheureusement, la Vendée, transformée par dix années de régime impérial, par les rigueurs policières, par les châtiments exemplaires infligés aux rebelles, ne ressemblait plus à ce qu’elle avait été autrefois. Les ardeurs royalistes étaient endormies, les acteurs héroïques des guerres et des complots de la chouannerie morts pour la plupart, ou courbés par l’âge, ou déshabitués de la vie d’aventures en laquelle jadis se trempait leur âme. Une partie de la jeunesse bretonne servait sous les drapeaux. Ceux qui avaient vécu dans les armées de l’Empire en étaient revenus façonnés aux idées nouvelles, pénétrés d’admiration pour Napoléon, oublieux de leurs vieux griefs contre lui, métamorphosés en un mot par leurs promenades épiques à travers le monde.

D’autre part, dans ces contrées où tant de sang avait coulé pour la cause des Bourbons, on ne comprenait guère que le roi, dès son retour, n’eût pas récompensé tous les dévouements, frappé les terroristes et les régicides, obligé les acheteurs de biens nationaux à rendre gorge, et chassé des emplois qu’ils occupaient encore ceux qui les tenaient de la Révolution ou de l’usurpateur. En un mot, de multiples causes de mécontentement avaient ébranlé les antiques fidélités. On répugnait à recommencer la lutte, alors surtout que le roi semblait méconnaître ses fidèles chouans, en refusant de se réfugier au milieu d’eux.