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– Trouve-toi, ce soir à six heures, dans les rochers de Saint-Cast. Tu y verras un homme vêtu d’un pantalon garni en cuir, d’une veste bourgeoise, coiffé d’un chapeau haut de forme. Il te dira ce que tu dois faire.

Depagne fut exact au rendez-vous. Chateaubriand l’attendait et l’accueillit par ces mots :

– Ah ! c’est vous qui venez avec moi à Jersey. Suivez-moi dans le havre.

Ils y allèrent. Chateaubriand désigna un bateau :

– Voilà celui que nous allons prendre.

– Mais il n’y a pas d’agrès, objecta Depagne.

– En voici, au pied de la falaise.

Ils armèrent le bateau, s’embarquèrent et prirent le large. Ce voyage devait être moins heureux encore que le précédent. Durant trois jours, battus des vents et des flots, Chateaubriand et son compagnon coururent d’innombrables périls sans parvenir à se rapprocher de Jersey. Le 9 janvier, dans la matinée, ils allaient à la dérive, n’ayant plus ni gouvernail, ni mât, ni voilure, ni rames. Les vagues furieuses les poussaient grand train vers un rivage qu’ils ne reconnaissaient pas. La fatigue et le froid avaient paralysé leurs forces. Ils ne se tenaient plus. Ils pouvaient à peine parler. Chateaubriand avait les pieds et les jambes gelés. Il comprit qu’il était perdu. Il portait sur lui ses papiers dans une enveloppe de toile cirée. Il s’en débarrassa en les jetant à la mer. Il remit cent cinquante francs à Depagne, lui recommanda, pour le cas où ils trouveraient du monde sur la place où ils allaient arriver, de le nommer John Fall. Depagne devait s’appeler Jean Brien. Chateaubriand s’étendit alors au fond de la barque, ferma les yeux. Bientôt, il perdit connaissance.

Quelques instants après, elle abordait à Bretteville-sur-Ay, dans le département de la Manche. Les douaniers